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Title
Framing China. Media Images and Political Debates in Britain, the USA and Switzerland, 1900–1950


Author(s)
Knüsel, Ariane
Published
Farnham 2012:
Extent
316 S.
by
Yves Laberge, Université d’Ottawa

On pourrait résumer Framing China en le cataloguant comme une analyse du discours médiatique à propos de la Chine dans les médias d’Angleterre, des États-Unis et de Suisse; mais cette formulation malhabile ne suffirait pas à en montrer toute la richesse et l’originalité. Probablement adapté d’une thèse de doctorat remaniée, ce premier livre d’Ariane Knüsel est paru initialement chez l’éditeur britannique Ashgate Publishing, qui a par la suite été avalé par le géant Routledge, du groupe Taylor & Francis, spécialisé dans le livre savant. Ce titre peut désormais être commandé en version papier ou sur support virtuel sur Internet ou chez Routledge.

Ouvrage interdisciplinaire, Framing China: Media Images and Political Debates in Britain, the USA and Switzerland, 1900–1950 résulte de la conjonction de plusieurs approches, de l’histoire des idées à l’étude de l’opinion publique en passant par les études culturelles, mais touche également la sociologie des médias et l’anthropologie du racisme. Le titre de l’ouvrage fait référence à cet inévitable recadrage («Framing») dans le regard de l’observateur qui trop souvent déforme et reconstruit à sa guise et selon ses préjugés une culture différente qu’il ne comprend pas toujours.

Historienne enseignant à l’Université de Zurich, Ariane Knüsel a consulté une multitude de journaux et de magazines de la première moitié du XXe siècle, en Angleterre, aux États-Unis et en Suisse, afin de scruter les perceptions, les stéréotypes, mais aussi les préjugés dans l’opinion publique de ces trois pays face à cette Chine si lointaine que bien peu de gens avaient alors visitée. Subdivisé en quatre parties, Framing China scrute successivement les contrecoups de la révolution chinoise de 1911 (ou révolution Xinhai) qui a conduit à l’avènement de la République de Chine; plus riche sur le plan théorique avec un ancrage dans la perspective de Benedict Anderson (1936–2015), le deuxième chapitre se concentre sur la construction du discours xénophobe à partir des années 1920; peut-être le plus intéressant, le chapitre suivant étudie les images médiatisées du «péril jaune», tandis que le dernier chapitre traite des perceptions face à l’avènement du communisme dans la République chinoise à partir de 1949. Dans le contexte anticommuniste ayant suivi la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le terrain était déjà préparé pour un nouveau réflexe antichinois dans la presse des pays occidentaux. Pris ensemble, les quatre thèmes de ces chapitres sont tous traversés par la stigmatisation de la population chinoise vue comme étant redoutable, menaçante et imprévisible.

Les premières pages de l’introduction nous ramènent en 1927, à l’époque de la réémergence du sentiment xénophobe en Chine, qui existait également ailleurs, comme le prouve une série de caricatures d’époque reproduites dans cet ouvrage. Au-delà du simple constat, Ariane Knüsel met en contexte l’héritage historique du colonialisme et de l’impérialisme des puissances étrangères ayant dominé l’empire chinois, pour ensuite mettre en évidence les mutations de ces sociétés mais aussi leurs relations intergouvernementales. Ainsi, l’étude du thème du «péril jaune» au cours des années 1930 permet de mieux comprendre les mécanismes ayant permis ce passage d’un discours xénophobe de plus en plus répandu à des politiques qui correspondaient (et tentaient de répondre) à ces inquiétudes répandues chez les populations occidentales au milieu du XXe siècle. En outre, tout en tenant compte des différences significatives dans les perceptions véhiculées dans chaque État (et pouvant varier d’une contrée à l’autre), les comparaisons entre les trois pays étudiés permettent de tirer des observations révélatrices, par exemple à propos de l’attitude antichinoise de la presse suisse des années 1930 qui, en dépit de la neutralité officielle du gouvernement fédéral, véhiculait des stéréotypes et des préjugés assez semblables à ceux qu’on retrouvait alors dans les journaux britanniques et étatsuniens (p. 257). Cette vieille peur de «l’Autre» (p. 75) qui se reproduirait plus vite et qui risquerait d’envahir, de «contaminer» et de «dénaturaliser» la nation de l’intérieur a justifié des politiques migratoires discriminantes envers les candidats chinois, par exemple aux États-Unis au cours des années 1940 (p. 256). Toutefois, Ariane Knüsel nuance les accusations et les jugements s’étant succédé au fil des conflits, alliances et réconciliations: les représentations de l’Autre pouvaient changer drastiquement; comme il est signalé à maintes reprises, il ne faudrait pas conclure trop hâtivement que les attitudes envers la Chine étaient systématiquement et constamment négatives. De plus, et c’est l’autre enseignement de ce livre, les représentations de la Chine variaient considérablement d’un pays à l’autre (p. 252).

Comme on peut s’en douter, cette vision approximative et souvent inexacte d’une Chine en effervescence nous informe assez peu sur l’Orient réel, mais peutêtre davantage à propos des observateurs occidentaux, correspondants, journalistes, politiciens et autres faiseurs d’opinion dans leurs contrées respectives. Au fond, pour emprunter le vocabulaire de la psychanalyse, on a l’impression d’assister à un phénomène de projection en lisant ces extraits d’époque qui sont ici richement reproduits. Or, loin de la psychanalyse, les raisons justifiant une attitude aussi négative ou souvent infantilisante envers la Chine étaient davantage liées au besoin de justifier la présence étrangère et les multiples formes de colonialisme (p. 252).

Compte tenu d’un sujet aussi vaste et relativement peu couvert selon la perspective adoptée, Ariane Knüsel a réussi à bien délimiter son sujet aux multiples facettes et à apporter une actualisation fort appréciable, par exemple en comparant les attitudes d’il y a un siècle face à la Chine aux conceptions actuelles. En outre, l’un des points forts de ce livre est de mettre à profit les apports de plusieurs domaines pour tenter d’appréhender un phénomène éminemment complexe; cette ouverture interdisciplinaire pourra peut-être étonner les historiens habitués à une approche plus stricte de leur champ d’investigation. Les ouvrages cités dans les notes et en bibliographie sont essentiellement en anglais, avec quelques ouvrages en allemand et relativement peu de titres en français. Le texte en anglais se lit avec fluidité mais nécessitera du lecteur une bonne compréhension de la langue de Shakespeare. Comme il s’agit d’un travail original adapté d’une thèse de doctorat, on recommandera particulièrement ce livre aux futurs thésards dans tous les domaines abordés ici.

Zitierweise:
Yves Laberge: Rezension zu: Ariane Knüsel, Framing China. Media Images and Political Debates in Britain, the USA and Switzerland, 1900–1950, Farnham et Burlington, Vt.: Ashgate Publishing, 2012. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 67 Nr. 3, 2017, S. 521-522.

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Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 67 Nr. 3, 2017, S. 521-522.

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